début du sujet

L'impact de ses mots lui apparaît de manière évidente. La carapace du roi se fissure sous ses yeux, la colère semble laisser place à d'autres émotions, d'autres sentiments, pourtant tout aussi douloureux. Il se soucie d'elle, se soucie de son sort. Elle aimerait refouler ces pensées au plus profond de son être, mais elle n'y parvient pas. Noah a toutes les raisons de la haïr, toutes les raisons de ne jamais lui pardonner, mais la simple idée de la savoir morte semble le perturber plus qu'elle ne l'aurait pensé. C'est donc ça, l'amour. C'est donc pour ça, que la trahison est encore plus douloureuse. Elle a tout gâché, et ça lui revient une fois de plus en plein visage. Le contre-coup est difficile à encaisser, et lorsque son époux déglutit, Nysa ne peut s'empêcher de faire de même, tentant, en vain, de chasser la boule qui se forme dans sa gorge. Une fois de plus, leurs prunelles se rencontrent, s'affrontent, à la manière d'une danse savamment répétée, dont le secret n'appartiendrait qu'à eux. Le roi l'a laissé s'exprimer, alors la louve fait de même. Elle reste mutique alors que chaque mot qu'il prononce semble enfoncer un pieu un peu plus profondément dans son palpitant. Nysa sait qu'elle a toujours détenu un avantage sur les autres, bien avant que l'amour ne naisse entre eux. Là où elle n'avait pas réussi à gagner son cœur, elle avait réussi à lui offrir autre chose : des enfants. Une famille. Leur famille. Alors elle sait qu'il dit vrai. Elle aurait pu tout avoir, et davantage même, lorsque la haine a laissé place à l'amour. Il lui aurait offert le monde, si elle en avait seulement formulé le souhait. Et d'une certaine manière, c'était ce qu'il avait fait, en lui donnant deux magnifiques enfants, en plaçant une couronne sur sa tête, en lui accordant sa confiance et en la laissant régner à ses côtés. Désormais, Nysa ne parvient même plus vraiment à lui en vouloir pour tout ce qu'il a pu faire, pour toutes ces raisons qu'il lui a donné et qui l'ont poussé à prendre cette décision. Seul reste le poids de ses propres erreurs sur ses épaules.  

Finalement, Noah se tait et la reine se contente de l'observer quelques secondes sans rien ajouter. Une inspiration, et la jeune femme finit par prendre la parole. « Nathanael est un Sielle. » Il en a le nom, le pouvoir, les traits. Il a tout du tigre, digne héritier de son père, mais il n'est pas que ça. « Mais il a aussi du sang Xi'nora qui coule dans ses veines. » Chaque mot est prononcé avec calme, avec prudence, presque. « Il est ma famille, à moi-aussi. Une famille que j'ai choisi de construire. » La louve finit par se redresser dans son fauteuil. « Ce n'est pas de moi, que tu dois le protéger. » Elle tuerait quiconque ose s'en prendre à leur fils, et ça, Noah doit le savoir. Comment peut-il en douter? Elle ne parvient pas à le comprendre, mais d'un autre côté, elle a conscience de ne pas vraiment avoir été la mère exemplaire qu'elle prétend être. « Mais je crois que je commence à comprendre. Ces dernières semaines m'ont permis de réfléchir. » Nysa quitte son fauteuil pour se lever, réduisant ainsi cette différence de taille qui a toujours joué en la faveur de Noah lors de leurs désaccords. Pourtant, ce n'est pas ce qui semble important, aujourd'hui. Car ils ne sont pas en train de hurler, que le fauve ne paraît pas menaçant. C'est peut-être ça, qui la déstabilise. Ces échanges qui ne leur ressemblent pas, dénués de cris, de menaces, de violence. « J'ai été égoïste. J'ai pensé uniquement à moi dans cette histoire. Je n'ai pas été la mère dont Nathanael avait besoin quand j'ai fait le choix de le priver de son père. Je n'ai pas pensé à la manière dont ta mort l'aurait impacté, lui aussi. » Peut-être car elle n'a jamais été proche de son père, peut-être car sa mort, à lui, l'a délivré d'un poids. « Je n'ai pensé qu'à moi, alors peut-être que tu as raison. Peut-être que je ne mérite pas de voir Nathanael. » Peut-être est-ce vrai, et pourtant, elle ne pourra jamais se résoudre à accepter cette situation. La Sielle hausse les épaules, d'une manière presque nonchalante, et ce malgré les peines qui écrasent son cœur. Le silence retombe entre eux, et Nysa sait ce qui lui reste à faire. Il n'y a plus rien à dire, désormais. Avant que l'hésitation ne prenne la place sur la raison, la louve fait quelques pas vers la porte. Son corps vient effleurer les vêtements de son époux, mais elle ne le regarde pas. Elle ne peut s'y résoudre, car les souvenirs de l'autre nuit sont encore trop ancrés en elle, et l'espoir qui brûle dans sa poitrine n'a besoin que d'une étincelle pour l'embraser entièrement. « Je vais retourner à mes appartements, j'imagine que tu as encore beaucoup de choses à régler. » La main sur la poignée, elle ne l'actionne pourtant pas tout de suite. Son regard vient se mêler une dernière fois à celui de Noah. « Tu peux dormir paisiblement, je ne ferais rien d'insensé. » Et, sans un mot de plus, la louve quitte la pièce, prête à rejoindre le quartier qui était devenu sa cellule.


(...)


Un jour passe, puis un autre. On la laisse quitter ses appartements, mais toujours sous surveillance. Deux gardes, qui l'entourent constamment, probablement pour s'assurer qu'elle ne tente pas de fuir. Au fond d'elle, Nysa se plait à penser que, si elle souhaitait vraiment fuir, ces gardes ne seraient pas suffisant à l'arrêter. Elle imagine que Noah a conscience de ça, lui qui la connaît mieux que quiconque. Alors peut-être a-t-il conscience, lui-aussi, qu'elle ne tentera pas de fuir.

Occupée dans l'une des salles de lecture du palais, la reine n'entend pas le serviteur arriver avant que ce dernier ne s'éclaircisse la gorge pour attirer son attention. La jeune femme détache lentement son regard du livre qu'elle tient entre ses mains pour le poser sur le rouge. « Votre Altesse, sa Majesté requiert votre présence dans ses appartements. » Nysa hoche la tête, congédiant l'homme d'un simple geste de la main. Tout en se levant, elle pose le livre sur une table basse, et prend la direction des appartements de Noah. Les deux gardes la suivent de près, le métal de leurs armures tinte à chaque pas dans le long couloir qui la mène jusqu'aux appartements royaux. La Sielle ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel. « Est-il vraiment nécessaire pour vous de m'accompagner jusqu'à la porte des appartements de mon époux? » Mais aucun des gardes ne prend la peine de lui répondre. Ils sont habitués à ces pics qu'elle leur lance, désormais.

D'autres gardes, postés devant les portes, les ouvrent sur son passage. Noah est déjà dans la pièce, son dos tourné à l'entrée de la pièce. Un salon qui sert d'entrée aux autres pièces de ses appartements. Nysa connaît chacune d'entre elle, et chaque usage que son époux en fait. Son regard s'attarde sur le dos du Sielle, sur les muscles qui se dessinent sous sa chemise. Il ne lui laisse pas le temps de pousser davantage son observation tandis qu'il se retourne pour lui faire face. « Tu as demandé ma présence? » Exigé, plutôt, mais ça, Nysa ne garde bien de le formuler à voix haute.