Des règles à n'en plus finir, un régime strict, interdiction de sortir ou de crier, d'user sa belle voix et son joli minois. Sa vie ne lui appartient pas. La poupée de porcelaine est enfermée dans sa tour. Sephy ne sait pas très bien comment l'expliquer, mais cette métaphore prend sens dans son esprit, comme une évidence. Pourtant, la jeune femme rêve d'un ailleurs au loin. Dehors. À quoi ressemble les jeux d'adolescents auxquels sa mère ne lui a jamais laissé prendre part, qu'est-ce que l'on ressent pour un ami ? Des émotions et des joies qu'elle voudrait goûter plus que toutes les sucreries du monde. Même si elle ne dirait pas non à un éclair au chocolat ! Cependant, la poupée de porcelaine ne doit pas avoir d'émotions, elle n'est que la marionnette d'une autre vie. Un pantin dont l'on dispose à sa guise pour le bonheur de mère. Mère qui ne vit que pour elle et par elle, mère qui se morfond du départ de père, et qui est terrifiée à l'idée de la perdre à son tour. À la colère se mêle la compassion. La toile est si bien tissée que Persephone se sent coupable de ne serait-ce que penser à un autre monde et une autre vie. Elle ne devrait avoir besoin de rien d'autre. Mère est là et la comprend.

Alors, pourquoi ce besoin irrésistible de sortir aujourd'hui ? De braver l'interdit pendant que sa mère fait les courses. Pourquoi ce jour et pas tous les autres avant ? Elle ne le sait. Mais ses pas l'emmènent contre sa volonté vers la porte d'entrée. Sa robe, qu'elle n'a pas choisi, s'envole un peu lorsque la jeune femme ouvre la porte de sa maison, le vent s'immiscant entre les volants bleutés du tissu et caressant ses jambes fines. Hésitante sur le seuil de l'entrée, Persephone tourne la tête à gauche, puis à droite. On dirait un petit animal peureux jusque dans sa façon de se coller contre l'embrasure de la porte, puis d'avancer doucement, petit pas après petit pas. Sa respiration est coupée et dans son regard s'agite la peur d'être surprise qui se mélange à une excitation nouvelle, qui aurait pu croire que braver un interdit explicite pourrait conduire à tant d'émotions contradictoires. Pas elle, mais que connait-elle du monde, l'enfant dans sa cage dorée au goût de miel avarié. Persephone prend une longue inspiration, son pied s'avance et descend une marche, puis une autre, et encore une. Et la voilà sur le bord de la route silencieuse. Peu de gens circulent par ici, personne pour la voir et tout répéter à sa mère. La mauvaise petite fille peut agir impunément. Elle lève la tête vers le ciel clair, ne regarde pas où elle met les pieds, ses yeux se perdent dans l'azur, son nez hume les odeurs étrangères, son cœur se perd dans ces heureuses expériences. Elle ne pense plus aux séances imposées de mannequinât, ni aux dures répétitions de chant. Elle ne pense plus et qu'est-ce que cela fait du bien.

Persephone ne fait pas attention pourtant, elle n'entend pas le cri lancé en sa direction, mais sent l'impact quand elle entre en contact avec un corps qui n'est pas le sien. Surprise, elle manque de tomber mais se rattrape de justesse. Ses yeux quittent à regret la limpidité infinie du ciel pour se plonger dans des yeux inconnus, sombres et mystérieux. Elle rougit, sans savoir pourquoi. Puis elle bégaie comme une idiote. "Je, je suis désolée." c'est tout ce qu'elle trouve à dire. Voilà le moment de bonheur dèje vite interrompu. Tant pis.