Le dos droit, le port altier, le prince ne se gène pas de déambuler dans les couloirs de ce château comme si c’était sa propre maison. C’est chez lui. Partout à Valdierva, c’est chez lui, plus encore qu’ailleurs. La terre de cette région l’appelle, même si désormais c’est à la Tour d’Ivoire qu’il vit. Ses pas sont délibérément longs, et rapides. Il tente de perdre celle qui le suit. Plus petite, elle a du mal à faire d’aussi longues enjambées que lui. Le Sielle n’a aucun sourire, car la situation est loin de l’amuser.

C’est son père qui l’a fait partir d’Aureus, direction Valdierva et plus précisément le fief des Oaklong, pour y passer du temps avec sa promise. Le jeune homme déteste l’idée, mais encore, il aurait supporté si elle n’était pas collée à ses basques. Membre de la garde, qu’elle était devenue. Et trop sous expérimentée pour être collée à la surveillance du couple royal - les parents du prince - c’était à lui qu’on avait assigné la protégée des Sielle. Peony Iron, une batarde que son père n’avait même pas engendré, ni sa mère. Un effet secondaire au mal qui les avait touché à l’époque, après la perte de Neela, de Jeremy, et de Eliot. Nathanael était le seul Sielle de leur génération à avoir connu les trois et à en avoir gardé des souvenirs, Isaiah était trop jeune.

Un coup d’oeil derrière lui lui indique que la brune est toujours présente. Sa mâchoire se crispe, et il ouvre la porte de ses appartements non sans une certaine colère, qu’il était encore un peu jeune pour maîtriser. « Tu comptes me suivre jusque dans mon lit ? », il se fait incendiaire, alors que son regard se pose sur la silhouette de la jeune femme. Au fond de lui, il ne serait même pas contre.

Le regard fixé sur son dos, Peony accélère le pas pour être capable de suivre le rythme du prince héritier. Elle ne peut s'empêcher de détailler sa silhouette, de froncer le nez face à l'arrogance qui se dégage de lui. Comme si le monde lui appartenait, et d'une certaine manière, c'est un peu le cas, pour lui qui héritera de l'Empire bâti par leurs parents - par ses parents. Avec comme seule réussite d'être né l'aîné de sa fratrie, Nathanael avait vu son avenir se tracer devant lui, au fur et à mesure que ses parents marquaient l'histoire. Au fond, Peony n'est pas certaine de l'envier tant que ça, lui qui n'aura jamais la possibilité de choisir pour lui.

Naïvement, elle a espéré qu'en intégrant la garde royale, on lui épargne la punition de supporter ce Sielle là. Le seul de la famille avec lequel elle ne s'est jamais entendue. Avec le recul, désormais, elle se demande parfois si Noah ne l'a pas fait exprès pour les pousser à s'apprécier davantage. Car même si elle ne porte pas le nom de Sielle, et qu'elle n'est pas une princesse impériale, les Sielle sont ce qui se rapproche le plus d'une famille à ses yeux. Et elle se plaît à penser que c'est réciproque, que si elle a toujours considéré Noah et Nysa comme les figures parentales manquantes dans sa vie, qu'ils ont aussi fini par se laisser prendre au jeu. Alors oui, avec le recul, elle pense que Noah aurait pu le faire exprès, pour assurer leur entente, même si à ses yeux, Nate n'a rien d'un frère, et qu'elle préférerait mille fois le laisser se débrouiller seul, si on lui laissait le choix.

La jeune femme le suit jusqu'à ses appartements, et au delà des portes de ceux-ci. Elle se sait être parfois un peu trop à l'aise dans cet univers, elle qui a grandi aux côtés des princes et princesses, qui a assisté à leurs réceptions au même titre que ceux de sang royal. Lorsque le brun finit par lui adresser la parole, Peony ne peut s'empêcher de lever les yeux au ciel pour manifester son agacement. « Ça te ferait peut-être plaisir, mais non. » Une satisfaction presque malsaine à le voir s'agacer de la sorte en sa présence s'éveille en elle à chaque fois qu'elle parvient à lui faire perdre patience.

Touché. Nathanael se renfrogne davantage, et secoue la tête avant de retirer sa veste de costume pour la poser sur une chaise, soigneusement. Il était peut être prince, mais Nathanael avait appris au contact de ses gardiennes et de ses maîtres précepteurs que tout le monde méritait un respect minimum de sa part, et que si il voulait conserver tout ce que ses parents avaient obtenu pour lui, il valait mieux se comporter avec décence et éducation. « Pas autant que tu te plais à le croire, Iron. », il la provoque impunément, comme il la tant fait, et puis il jette un oeil à la batarde, qui ne semble pas encline à quitter la pièce tout de suite. Le jeune homme se demande quels ordre son père a bien pu lui donner pour qu’elle lui colle aux basques à ce point. Les souvenirs de la guerre ne sont pas si vieux dans l’esprit de Nate, et si ils sont frais pour lui, ils le sont plus encore pour ses parents. Nathanael n’est pas dupe, en bon Sielle que sont l’empereur et son épouse, ils ont tout simplement décidé qu’il ne lui arriverait rien, pas tant qu’ils respireraient encore. Et Nathanael comprend ça, il l’a intégré. Il sera le même père envers ses propres enfants, et le même patriarche envers les siens.

Et même envers elle, il sera comme ça. D’ailleurs ça l’agace qu’elle soit seule. Qui pour la protéger elle, si ce n’est lui ? « Tu aurais dû venir avec un de tes collègues, au moins. », s’agace Nathanael, qui sait qu’il ne pourrait pas accepter la perte de Peony. Pas parce qu’elle lui faisait penser à Neela, non. Non, elle n’a jamais rien eu de Neela et pour commencer pas son nom et leur sang. Non les raisons sont différentes, bien moins avouables.

Le sourire sur ses lippes ne disparaît pas, malgré l'attaque subtile du prince. Pourtant, les mots la touchent, mais elle a appris, avec les années, à ne plus le montrer. Iron. Elle ne restera toujours que la mutante recueillie par la famille royale, l'orpheline que l'on a pris en pitié, à l'époque. De sa famille, sa famille biologique, elle n'en garde aucuns souvenirs. Pas même une image, rien. Tout ce qu'elle a pu construire dans sa tête, elle l'a fait grâce aux histoires que lui ont raconté le roi et la reine. Elle a presque du mal à y croire, parfois. Elle a l'impression de ne jamais avoir rien connu d'autre que les murs de ce palais, que le faste de la vie royale. Les Sielle sont sa famille, ceux qui l'ont élevé, mais elle sait qu'elle ne pourra jamais porter leur nom. Que pour certains d'entre eux, elle ne sera jamais rien d'autre que la pièce rapportée, le parasite de leur jolie famille. D'une certaine manière, elle sait que c'est pour ça qu'elle s'est lancée dans la garde royale. Pour devenir indispensable, pour être certaine d'avoir toujours un rôle dans leurs vies. Mais tout ça, elle se garde bien de l'avouer à Nathanael, car il est probablement l'un de ceux qui la fait le plus douter de sa place, lui qui lui a toujours fait comprendre qu'elle n'avait rien d'une sœur à ses yeux. Et, peut-être, au fond d'elle-même, en était-elle reconnaissante.

L'héritier s'agace, et Peony se contente de hausser les épaules. « Ce n'est pas moi qui décide des affectations. » Et même si elle avait pu le faire, Peony préfère être seule, lorsqu'il s'agit du Sielle. Car avec ses collègues, elle se doit de faire preuve de plus de professionnalisme. Mais lorsqu'il s'agit uniquement du magnetron, elle se permet plus de choses.
Immobile dans un coin de la pièce, elle observe Nate, et n'hésite pas longtemps avant d'aborder le sujet qui lui brûle les lèvres. « Alors on est ici pour que tu passes du temps avec ta fiancée, c'est ça? Tu la connais déjà, j'imagine. Comment est-elle? »

La mâchoire de Nathanael se crispe un instant. « Je sais, c’est mon père qui a toujours le dernier mot. », et ça commence à l’agacer. Ça l’a toujours un peu agacé, Nathanael. Tout le pays courbe l’échine dès que l’empereur ouvre la bouche, et si Nate aime bien trop son père pour être impatient de prendre sa place, il mentirait si il disait ne jamais rêvasser au moment ou ce sera lui qui décidera.
Le jeune prince, pour l’instant, obéit. Ça n’a jamais été facile pour lui, mais on lui a raconté que son père avant lui était de la même graine. Son premier enfant à lui héritera peut être de ce besoin vital de ne pas se laisser faire, de ne pas être sous les ordres de qui que ce soit. Selon Nathanael, c’était une des qualités qui définissait les rois et les reines. La question de la garde le prend par surprise, car il ne pensait ps qu’elle s’y intéresserait. Il hausse un sourcil, son regard posé sur elle. Parler de ça avec Peony lui semble… Etrange. Il n’a pas envie de parler d’une autre devant elle, quelque chose dans ses tripes se noue, sa langue devient un peu plus sèche et il fini par hocher la tête, avant de prendre la parole. « C’est la fille d’un ami de mes parents. », si il avait su… « Naegel Oaklong, tu dois le connaître, vu ta position. » Nate s’installe sur un fauteuil, et déboutonne le premier bouton de sa chemise - il a l’impression d’etouffer. « Sa fille est… Hmmm… », il hésite, son regard se pose ailleurs, sur la fenêtre, les fleurs dans un vase ou encore le lit qui trône contre le mur opposé de la pièce. « Elle ne m’intéresse pas. Elle a parfaitement étudié la politique et fera une bonne impératrice, j’imagine. », sa main s’agite dans l’air, mais son regard n’a toujours pas rencontré celui de la bâtarde qui partage sa vie depuis des années, désormais. Il ne l’a jamais vue comme une autre Neela, et peut être que si il y était parvenu, il ne ressentirait pas ça.